Éric McComber s'est récemment attardé à Noël sur son blog.
Il y dit entre autre: "Le moment clé de la soirée, même chez les croyants les plus fervents, n'a rien à voir avec la Christ-messe. Le clou du spectacle est la longue session d'adoration en demi-cercle autour des produits, rassemblés, décorés, emballés, miroitants, rutilants, disposés, étalés au pied de l'arbre moribond. Enfin, moment suprême, la fin du mystère, la révélation du secret, le déballage et ses promesses d'accession à la connaissance. On enseigne dès le berceau à nos petits amours à espérer la jouissance dans le déballage d'un produit."
C'est une vision lucide, mature, mordante, grinçante. On ne peut pas contester ces observations. Mais c'est comme dire à quelqu'un: "L'étoile que tu trouves si belle, que tu contemples pendant des heures, et bien elle s'est éteinte il y a 3,000 ans, tu es en train de te recueillir devant la lumière d'un astre qui n'existe plus…"
C'est vrai, mais c'est loin d'être toute la vérité (et une vérité partielle est souvent aussi trompeuse qu'un mensonge), et ça passe complètement à côté d'un aspect que j'appellerais "spirituel" (Ô le mauvais mot, Ô qu'il est vilain le môssieur!). Je maintiens qu'il est possible de tirer du bon de la pire des situations, et je refuse de me sentir coupable (rétroactivement ou présentement) pour tirer plaisir d'une Fête. J'arrive encore à retrouver un "esprit de Noël", année après année, et ça n'a rien à voir avec la consommation. C'est une ambiance, c'est l'Hiver, c'est la Mort Saisonnière et c'est la Vie et la Chaleur qui persistent malgré tout. (C'est mon Mortifer qui défait les laisses de tous les chiens attachés dehors, le 24 décembre.) C'est païen. La Fête Hivernale existe depuis des siècles, sous une forme ou une autre. (Je vous réfère à un texte appelé Le Père Noël Supplicié, de Claude Lévi-Strauss, pour un survol éclairant.)
J'ai des enfants, et à Noël, oui, je leur fais des cadeaux. Ce n'est pas conditionnel à leur comportement, ce n'est pas une récompense, et ce n'est pas le seul de temps de l'année où je leur manifeste mon amour, et je le manifeste de toutes sortes de façons, pas juste matériellement. On n'essaie pas de leur faire croire au Père Noël, on s'y attarde comme on le ferait avec une autre histoire (le Cavalier Sans Tête, Bugs Bunny, Tintin ou Lord of the Rings). Nous sommes athées, alors il n'y a pas de blabla et de Messe de Minuit. Nous faisons l'école à la maison, alors il n'y a pas de brainwashing externe. On ne dépense pas des fortunes, et autant que possible on essaie de faire en sorte que ce qu'ils reçoivent soit des "canalisateur d'imaginaire", et j'essaie de faire en sorte que la période soit propice aux jeux dans la neige, aux chocolats chauds, et aux lectures sous les couvertures. Chaleur. Avec ma famille, mon père, ma mère, ma sœur, et bien j'essaie de minimiser les névroses, je ne veux pas qu'ils se cassent la tête pour des cadeaux, et j'essaie d'éliminer la culpabilité (si on peut se voir, tant mieux, sinon, tant pis... j'ai moi aussi déjà eu l'impression qu'on me forçait à être joyeux, alors maintenant je ne veux forcer personne, et laisser les gens s'amuser comme ils le veulent, à commencer par mes propres enfants).
Fuck, la vie est tellement plate et pénible et angoissante, il n'y a tellement rien dans l'avenir, il y a tellement d'horreurs partout, en dedans comme en dehors, est-ce que c'est si méchant que de profiter d'une occasion pour avoir du fun? Rejeter complètement une fête juste parce qu'elle a été métamorphosée en quelque chose de répréhensible, c'est comme vouloir quitter son pays à cause de son passé historique horrifiant. C'est comme décliner l'amour de quelqu'un parce que sa famille est détestable. C'est comme se suicider parce que Dieu n'existe pas. C'est comme refuser de manger parce qu'ailleurs il y a la famine. Ça ne sert à rien. Autant faire ce que l'on peut avec ce que l'on a, me semble, en ne se racontant pas de mensonges et en étant conscient de ce que l'on fait, et pourquoi.
À tous ceux qui prétendent (ou accusent, ou insinuent, ou sous-entendent, ou laissent entendre) que de fêter c'est devenir un Collaborateur à l'Infamie, je lance donc une grosse boule de neige.
(Et puis en passant: The Christmas Carol a été écrit par Charles Dickens, non pas par Oscar Wilde, et si vous trouvez ça "mièvre", c'est parce que vous ne l'avez jamais lu, mais vous êtes contentés d'une des adaptations télévisuelles qu'ont a extirpée de l'histoire originale...)