19 avril 1994

19 avril. 12h16. Cafétéria.

En ce moment, et pour longtemps (j'espère) je veux une révolution. Qu'elle soit englobante ou personnelle. Individuelle ou collective. Seulement, comment un faible peut-il se révolter, de façon à ce que ça aie des conséquences réelles? Je ne crois pas à l'essence prédéterminée, mais je crois,  crois à l'essence constituée. Et faisant partie de mon essence constituée, il y a la gêne, et la faiblesse. Ça fait pas un grand révolutionnaire, ça. Pis j'ai aucune expérience. J'ai lu, écrit, mais rien fait. Parce que ça ne m'était, et ne m'est peut-être pas encore, important. C'est peut-être là que se trouve ma faille, mon erreur. Et pis là, je sais que "je suis fou". Que j'ai des problèmes (?), des anormalités de pensées? Comment est-ce que je peux le savoir, ne connaissant pas la pensée des autres? Parce qu'en déduisant, je vois que c'est le genre de choses qui fait des impacts, et les gens que je vois ne les ont pas, ces impacts. Ils ne voient pas des visages se transformer quand ils se détendent dans leur cour de Taï-Chi. Ils ne s'imaginent pas des cibles qui tirent sur les gens qu'ils n'aiment pas. Ils ne se laissent pas infliger des détournements de pensées par des mouches mortes sur un tapis. Ils ne se mettent pas à trembler quand ils parlent de ce qui les touchent. Ils ne dépérissent pas à mesure que l'obscurité approche. Ils ne s'imaginent pas des situations idéales impossibles. Ils ne leur arrivent pas d'oublier pendant quelques instants l'âge qu'ils ont. Ils ne passent pas des minutes multiples à se regarder dans le miroir, essayant de reconnaître leur visage. Ils n'ont pas à se convaincre qu'ils ne vivront pas deux fois. Ils ne perdent pas leurs amis par inactions, mais par actions. Ils ne jouent pas à faire des introspections quand ils sont avec des amis, avec lesquels ils devraient vivre un peu. Ils n'ont pas de difficulté à connecter leurs souvenirs avec ce qu'ils sont. Ils ne se laissent pas malmener par ceux qui leur font un futur ne laissant que la fuite comme issue. Ils ne quittent pas les projets desquels ils ont participés à la création alors que ce projet arrive à son exécution. Ils ne pensent pas, en regardant la lune, qu'ils ont déjà vécu quelque chose qu'ils ont connectés avec la lune, mais qu'ils ont oubliés. Ils ne souhaitent pas la mort de leurs proches pour être "libérés". Ils ne gardent pas de jouets dans leurs chambres, laissant la poussière s'accumuler sur eux. Ils ne voient pas l'hypocrisie dans chaque geste, dans chaque rongement d'ongle. Ils ne donnent pas de noms désignateurs aux gens qu'ils aimeraient connaître. Ils ne relisent pas constamment les mêmes choses, tout en augmentant obligatoirement leur répertoire de choses à lire. Ils ne sont pas hypocrites à ce point (à mon point). Ils n'essayent pas de faire revivre ce qui est mort, de ramener les souvenirs. Ils ne trouvent pas la grand-mère malade plus supportable que la grand-mère en santé. Quand ils sont chauds à un party d'un ami, ils ne vont pas s'asseoir dans un garde-robe, se faisant apporter de la bière par quelqu'un, sans participer. Ils s'imaginent pas qu'ils ont un pouvoir qui fait éclater la tête des gens.

Malgré tout, la question reste: Pis après?[1]


[1] Cette phrase rajoutée plus tard.

1 avril 1994

Lendemain d'un suicide quotidien

Dans un autobus qui imite l'été,
le soleil me réchauffe
pour me familiariser au sommeil.

Je me rends compte qu'il est devenu difficile,
dans un excès de public,
d'oublier les figures d'hommes.

Les bosses de la route distortionnent mon écriture,
la ramène au stade d'enfant.
Ça ne prend que quelques bosses sur de l'asphalte…

J'écoute les manifestations
des envies de quelques personnes devenues fétiches.
Et je vois que pour "l'humanité",
le 20ème siècle,
c'est l'aboutissement de l'ennui.

Le mal ancestral, c'est ça.
C'est de ça dont parlaient les religieux.
L'ennui qui "corromps",
qui tue l'enthousiasme,
et qui finit par s'inculquer à d'autres.

On ne veut, et ne voulait pas, enlever l'espoir de la race.

Alors, l'étant, je suis méchant.
Une infection dans la plaie,
un aide-mémoire constant qui pointe l'échec.

"L'individu" est une invention pour s'ériger,
mais qui,
on le voit bien,
est en train de faire moisir tout le reste.

On ne peut pas changer le "destin"
inévitable du lapin.

Pâques, c'est juste une fois pas année.