22 octobre 2010

Le Talent

[Idée notée le 18 juin 2010, en après-midi]

Le Talent est cette chose qu'on s'imagine un jour posséder; après quoi plus rien n'est pareil, et la gloire de la Création se transforme en une complexe affaire qui ne s'occupe plus de ses oignons.

Genre

[Réactions arbitraires et désordonnées au texte du Mercenaire sur la littérature de "genre". Je le répète: arbitraires et désordonnées.]

Je suis complètement d'accord avec le constat, l'absurdité de la catégorisation ainsi que l'aberration psychique avec laquelle on se retrouve — tous et chacun, peu importe où on se trouve (lecteur ou écriveux), peu importe notre position sur la chose. Ces catégories nous ont contaminé le cerveau, qu'on le sache ou pas, et même si on les abolissait aujourd'hui on continuerait fort probablement de penser en ces termes là pour le restant de nos jours. On est pris avec, j'en ai bien peur. "Language is a virus," pour paraphraser un autre Mister B.

Mais là où je débarque, c'est dans les recommandations. Ne faites pas ci, ne faites pas ça, brulez tel livre, lisez celui là.

Si on veut commencer à remettre les choses en question, il faut aller jusqu'au bout. Remonter le problème à la racine. C'est-à-dire, l'acte de publier dans sa totalité.

(J'ai déjà écrit là-dessus ici et ici et ici.)

On n'a plus besoin d'écrire de nouveaux livres. Il y a en existence assez de livre pour satisfaire l'appétit littéraire de qui que ce soit, pour toute une vie. Inutile de continuer à publier.

Si toutefois on a envie d'écrire, parfait, je m'en réjouis. Je continue de penser que la pulsion de créer est importante, cruciale et précieuse. Mais alors, bordel, faites le dans la liberté la plus complète. Réécrivez tout Tolkien, si ça vous amuse. Embarquez-vous dans une série en bande dessinée racontant les aventures de petits lutins bleus. Écrivez 27 romans sur les aventures de votre personnage de Dungeons & Dragons. Quelle espèce d'importance? L'important c'est de s'amuser, de tripper. La pertinence d'un écrit, c'est une illusion. Les livres ne changent plus le monde, et depuis longtemps. Détrompez-vous quant à votre importance artistique individuelle.

"You are not a beautiful and unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everyone else, and we are all part of the same compost pile."

S'il est vrai que dans le meilleur des cas on pourrait espérer rejoindre une âme sœur avec le fruit de notre création, il est aussi vrai qu'il y en a déjà eu plein d'autres qui ont fait au moins aussi bien, sinon mieux.

En fait, ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a d'important pour moi que l'acte de Créer. On ne peut se mettre à juger de l'originalité ou de la valeur de la Création d'un autre que coiffé d'un Orgueil des plus nuisibles. Il ne faut pas tuer le problème en augmentant le nombre d'interdits; il faut selon moi décapiter le Tyran qui nous impose le problème depuis si longtemps, c'est-à-dire le mode mercantile de distribution de livres.

Un peu d'humilité. Éventuellement vous serez mort. Éventuellement la race humaine n'existera plus, et même le chef d'œuvre le plus universellement reconnu sera réduit en poussières.

"- Vois-tu, mon vieux, c'est ce qui me donne des sueurs froides, parfois… As-tu jamais songé à cela, toi, que la postérité n'est peut-être pas l'impeccable justicière que nous rêvons? On se console d'être injurié, d'être nié, on compte sur l'équité des siècles à venir, on est comme le fidèle qui supporte l'abomination de cette terre, dans la ferme croyance à une autre vie, où chacun sera traité selon ses mérites. Et s'il n'y avait pas plus de paradis pour l'artiste que pour le catholique, si les générations futures se trompaient comme les contemporains, continuaient le malentendu, préféraient aux œuvres fortes les petites bêtises aimables!... Ah! quelle duperie, hein? quelle existence de forçat, cloué au travail, pour une chimère!... […]

- Bah! qu'est-ce que ça fiche? il n'y a rien… Nous sommes plus fous encore que les imbéciles qui se tuent pour une femme. Quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos œuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière.

- Ça, c'est bien vrai, conclut Sandoz très pâle. À quoi bon vouloir combler le néant?... Et dire que nous le savons, et que notre orgueil s'acharne!
"

Rien n'a d'importance. Sinon que dans le Présent, dans l'acte de création qui nous fait oublier notre douleur & qui nous fait vibrer.

On s'en prend à la mauvaise personne si on s'acharne sur l'individu qui suit ses goûts et se laisse aller à l'écriture, peu importe ce que ça donne. Car dans le fond, est-ce qu'il y aurait autant de proto-Tolkien si ce n'était de la promesse de devenir millionnaire avec un best-seller? Tout est là, pour moi. Traitez-moi d'idéaliste naïf si vous le voulez, mais je maintiens que si on séparait l'Art du Domaine Mercantile, on écarterait par le fait même tous les opportunistes qui ne se lancent dans la création que par appât du gain, et donc par le fait même tout redeviendrait beaucoup plus pur.

S'il y tant de nigauds qui se laissent séduire par une formule et qui s'efforcent de la reproduire, c'est parce qu'il y a un marché qui en redemande. Abolissons le marché, et sans aucun doute les formules disparaîtront aussi. Car à quoi bon copier, si on n'espère rien en retour?
* * *
Je recommande très fortement la lecture d'un texte d'Alan Moore qui vient d'être publié sur le Web, Fossil Angels (première partie, deuxième partie). À première vue ça n'a pas de lien avec le sujet qui nous concerne ici, mais dans le fond c'est de l'Art dont il est question, et des raisons (bonnes et mauvaises) pour lesquelles on Le pratique. Je suis profondément inspiré par la lecture de ce texte.