[Réactions arbitraires et désordonnées au texte du Mercenaire sur la littérature de "genre". Je le répète: arbitraires et désordonnées.]
Je suis complètement d'accord avec le constat, l'absurdité de la catégorisation ainsi que l'aberration psychique avec laquelle on se retrouve — tous et chacun, peu importe où on se trouve (lecteur ou écriveux), peu importe notre position sur la chose. Ces catégories nous ont contaminé le cerveau, qu'on le sache ou pas, et même si on les abolissait aujourd'hui on continuerait fort probablement de penser en ces termes là pour le restant de nos jours. On est pris avec, j'en ai bien peur. "Language is a virus," pour paraphraser un autre Mister B.
Mais là où je débarque, c'est dans les recommandations. Ne faites pas ci, ne faites pas ça, brulez tel livre, lisez celui là.
Si on veut commencer à remettre les choses en question, il faut aller jusqu'au bout. Remonter le problème à la racine. C'est-à-dire, l'acte de publier dans sa totalité.
(J'ai déjà écrit là-dessus ici et ici et ici.)
On n'a plus besoin d'écrire de nouveaux livres. Il y a en existence assez de livre pour satisfaire l'appétit littéraire de qui que ce soit, pour toute une vie. Inutile de continuer à publier.
Si toutefois on a envie d'écrire, parfait, je m'en réjouis. Je continue de penser que la pulsion de créer est importante, cruciale et précieuse. Mais alors, bordel, faites le dans la liberté la plus complète. Réécrivez tout Tolkien, si ça vous amuse. Embarquez-vous dans une série en bande dessinée racontant les aventures de petits lutins bleus. Écrivez 27 romans sur les aventures de votre personnage de Dungeons & Dragons. Quelle espèce d'importance? L'important c'est de s'amuser, de tripper. La pertinence d'un écrit, c'est une illusion. Les livres ne changent plus le monde, et depuis longtemps. Détrompez-vous quant à votre importance artistique individuelle.
"You are not a beautiful and unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everyone else, and we are all part of the same compost pile."
S'il est vrai que dans le meilleur des cas on pourrait espérer rejoindre une âme sœur avec le fruit de notre création, il est aussi vrai qu'il y en a déjà eu plein d'autres qui ont fait au moins aussi bien, sinon mieux.
En fait, ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a d'important pour moi que l'acte de Créer. On ne peut se mettre à juger de l'originalité ou de la valeur de la Création d'un autre que coiffé d'un Orgueil des plus nuisibles. Il ne faut pas tuer le problème en augmentant le nombre d'interdits; il faut selon moi décapiter le Tyran qui nous impose le problème depuis si longtemps, c'est-à-dire le mode mercantile de distribution de livres.
Un peu d'humilité. Éventuellement vous serez mort. Éventuellement la race humaine n'existera plus, et même le chef d'œuvre le plus universellement reconnu sera réduit en poussières.
"- Vois-tu, mon vieux, c'est ce qui me donne des sueurs froides, parfois… As-tu jamais songé à cela, toi, que la postérité n'est peut-être pas l'impeccable justicière que nous rêvons? On se console d'être injurié, d'être nié, on compte sur l'équité des siècles à venir, on est comme le fidèle qui supporte l'abomination de cette terre, dans la ferme croyance à une autre vie, où chacun sera traité selon ses mérites. Et s'il n'y avait pas plus de paradis pour l'artiste que pour le catholique, si les générations futures se trompaient comme les contemporains, continuaient le malentendu, préféraient aux œuvres fortes les petites bêtises aimables!... Ah! quelle duperie, hein? quelle existence de forçat, cloué au travail, pour une chimère!... […]
- Bah! qu'est-ce que ça fiche? il n'y a rien… Nous sommes plus fous encore que les imbéciles qui se tuent pour une femme. Quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos œuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière.
- Ça, c'est bien vrai, conclut Sandoz très pâle. À quoi bon vouloir combler le néant?... Et dire que nous le savons, et que notre orgueil s'acharne!"
Rien n'a d'importance. Sinon que dans le Présent, dans l'acte de création qui nous fait oublier notre douleur & qui nous fait vibrer.
On s'en prend à la mauvaise personne si on s'acharne sur l'individu qui suit ses goûts et se laisse aller à l'écriture, peu importe ce que ça donne. Car dans le fond, est-ce qu'il y aurait autant de proto-Tolkien si ce n'était de la promesse de devenir millionnaire avec un best-seller? Tout est là, pour moi. Traitez-moi d'idéaliste naïf si vous le voulez, mais je maintiens que si on séparait l'Art du Domaine Mercantile, on écarterait par le fait même tous les opportunistes qui ne se lancent dans la création que par appât du gain, et donc par le fait même tout redeviendrait beaucoup plus pur.
S'il y tant de nigauds qui se laissent séduire par une formule et qui s'efforcent de la reproduire, c'est parce qu'il y a un marché qui en redemande. Abolissons le marché, et sans aucun doute les formules disparaîtront aussi. Car à quoi bon copier, si on n'espère rien en retour?
Je suis complètement d'accord avec le constat, l'absurdité de la catégorisation ainsi que l'aberration psychique avec laquelle on se retrouve — tous et chacun, peu importe où on se trouve (lecteur ou écriveux), peu importe notre position sur la chose. Ces catégories nous ont contaminé le cerveau, qu'on le sache ou pas, et même si on les abolissait aujourd'hui on continuerait fort probablement de penser en ces termes là pour le restant de nos jours. On est pris avec, j'en ai bien peur. "Language is a virus," pour paraphraser un autre Mister B.
Mais là où je débarque, c'est dans les recommandations. Ne faites pas ci, ne faites pas ça, brulez tel livre, lisez celui là.
Si on veut commencer à remettre les choses en question, il faut aller jusqu'au bout. Remonter le problème à la racine. C'est-à-dire, l'acte de publier dans sa totalité.
(J'ai déjà écrit là-dessus ici et ici et ici.)
On n'a plus besoin d'écrire de nouveaux livres. Il y a en existence assez de livre pour satisfaire l'appétit littéraire de qui que ce soit, pour toute une vie. Inutile de continuer à publier.
Si toutefois on a envie d'écrire, parfait, je m'en réjouis. Je continue de penser que la pulsion de créer est importante, cruciale et précieuse. Mais alors, bordel, faites le dans la liberté la plus complète. Réécrivez tout Tolkien, si ça vous amuse. Embarquez-vous dans une série en bande dessinée racontant les aventures de petits lutins bleus. Écrivez 27 romans sur les aventures de votre personnage de Dungeons & Dragons. Quelle espèce d'importance? L'important c'est de s'amuser, de tripper. La pertinence d'un écrit, c'est une illusion. Les livres ne changent plus le monde, et depuis longtemps. Détrompez-vous quant à votre importance artistique individuelle.
"You are not a beautiful and unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everyone else, and we are all part of the same compost pile."
S'il est vrai que dans le meilleur des cas on pourrait espérer rejoindre une âme sœur avec le fruit de notre création, il est aussi vrai qu'il y en a déjà eu plein d'autres qui ont fait au moins aussi bien, sinon mieux.
En fait, ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a d'important pour moi que l'acte de Créer. On ne peut se mettre à juger de l'originalité ou de la valeur de la Création d'un autre que coiffé d'un Orgueil des plus nuisibles. Il ne faut pas tuer le problème en augmentant le nombre d'interdits; il faut selon moi décapiter le Tyran qui nous impose le problème depuis si longtemps, c'est-à-dire le mode mercantile de distribution de livres.
Un peu d'humilité. Éventuellement vous serez mort. Éventuellement la race humaine n'existera plus, et même le chef d'œuvre le plus universellement reconnu sera réduit en poussières.
"- Vois-tu, mon vieux, c'est ce qui me donne des sueurs froides, parfois… As-tu jamais songé à cela, toi, que la postérité n'est peut-être pas l'impeccable justicière que nous rêvons? On se console d'être injurié, d'être nié, on compte sur l'équité des siècles à venir, on est comme le fidèle qui supporte l'abomination de cette terre, dans la ferme croyance à une autre vie, où chacun sera traité selon ses mérites. Et s'il n'y avait pas plus de paradis pour l'artiste que pour le catholique, si les générations futures se trompaient comme les contemporains, continuaient le malentendu, préféraient aux œuvres fortes les petites bêtises aimables!... Ah! quelle duperie, hein? quelle existence de forçat, cloué au travail, pour une chimère!... […]
- Bah! qu'est-ce que ça fiche? il n'y a rien… Nous sommes plus fous encore que les imbéciles qui se tuent pour une femme. Quand la terre claquera dans l'espace comme une noix sèche, nos œuvres n'ajouteront pas un atome à sa poussière.
- Ça, c'est bien vrai, conclut Sandoz très pâle. À quoi bon vouloir combler le néant?... Et dire que nous le savons, et que notre orgueil s'acharne!"
Rien n'a d'importance. Sinon que dans le Présent, dans l'acte de création qui nous fait oublier notre douleur & qui nous fait vibrer.
On s'en prend à la mauvaise personne si on s'acharne sur l'individu qui suit ses goûts et se laisse aller à l'écriture, peu importe ce que ça donne. Car dans le fond, est-ce qu'il y aurait autant de proto-Tolkien si ce n'était de la promesse de devenir millionnaire avec un best-seller? Tout est là, pour moi. Traitez-moi d'idéaliste naïf si vous le voulez, mais je maintiens que si on séparait l'Art du Domaine Mercantile, on écarterait par le fait même tous les opportunistes qui ne se lancent dans la création que par appât du gain, et donc par le fait même tout redeviendrait beaucoup plus pur.
S'il y tant de nigauds qui se laissent séduire par une formule et qui s'efforcent de la reproduire, c'est parce qu'il y a un marché qui en redemande. Abolissons le marché, et sans aucun doute les formules disparaîtront aussi. Car à quoi bon copier, si on n'espère rien en retour?
* * *
Je recommande très fortement la lecture d'un texte d'Alan Moore qui vient d'être publié sur le Web, Fossil Angels (première partie, deuxième partie). À première vue ça n'a pas de lien avec le sujet qui nous concerne ici, mais dans le fond c'est de l'Art dont il est question, et des raisons (bonnes et mauvaises) pour lesquelles on Le pratique. Je suis profondément inspiré par la lecture de ce texte.
4 commentaires:
« S'il est vrai que dans le meilleur des cas on pourrait espérer rejoindre une âme sœur avec le fruit de notre création, il est aussi vrai qu'il y en a déjà eu plein d'autres qui ont fait au moins aussi bien, sinon mieux.»
Bonjour Simon,
REBUT TOTAL, un texte qu'il m'a été donné d'entendre en live en août dernier. Quelque chose que je ne suis pas prête d'oublier, quelque chose qui me fera agir et non plus penser. Quelque chose comme un trésor qui pourrissait au fond d'une mare.
http://www.theatreperil.com/rebut-total.htm
Excellente note. Tu devrais te joindre à la discussion. Tu notes toujours une tonne de trucs pertinents.
By the way, mes recommandations sont plutôt caricaturales que prescriptives. Tes arguments à leur endroit sont légitimes. Mais si je voulais les résumer, ça tiendrait dans «Vous voulez faire du genre? N'en faites pas.» En fait, ces prescriptions, elles visent des têtes bien précises - des gens qui prennent la littérature (ok, formule pesante, mais on se comprend) sur un ton tout aussi caricatural, selon moi. Elles concernent aussi un problème éditorial & auctorial bien précis. Et aussi, je suis épuisé d'entendre des aberrations telles que «Patrick Sénécal, maître de l'horreur» ou de lire du réchauffé qui se donne des airs de gastronomie révolutionnaire. Et de constater qu'il y ait comme un consensus dans le milieu des critiques littéraires, un consensus abruti au coeur duquel tous se regardent, l'air perplexe, pour enfin hurler auX prodigeS à chaque rentrée littéraire, aussi morose et insipide soit-elle. Les imaginaires me semblent extrêmement sclérosés, ces temps-ci. Faudrait les fouetter un peu, non? Quitte à passer pour un tyran ;-)
Le Seuil: Merci du commentaire. J'ai lu le texte du "Rebut Global", et c'est très fort, très inspirant ça aussi. Merci. Si seulement ça pouvait être lu (et *entendu*) par la Masse… Aussi, on y dit la chose suivante: "Que ceux qui se reconnaissent pleinement se fassent connaître et qu'ils se joignent à nous et ne restent plus seuls." Mais qui contacter, comment? Il me semble que je leur enverrais mon texte de "La Citadelle"...
Mercenaire: Merci à toi aussi. Pour ce qui est de me joindre à la discussion, et bien je le fais, discrètement, à ma manière, ici. Car vois-tu, contrairement à toi, je ne trouve pas grand-chose de *pertinent* dans mon élucubration. À mon sens, je ne fais qu'élaborer — encore et encore — les mêmes idées: restons humbles, nous allons tous mourir, l'argent corrompt.
Je suis d'accord, encore une fois, avec ton constat. Les imaginaires sont effectivement sclérosés. Mais le défaitiste en moi se dit qu'on a ce qu'on mérite. Je veux dire par là que je vois plein de gens autour de moi qui sont à l'aise avec la médiocrité, en autant que ça les distrait. On en revient un peu au "acheter c'est voter". Si les gens cessaient de consommer de la merde, les vendeurs de merde feraient faillite. "Oui mais si on ne leur propose que de la merde, vers où peuvent-ils se tourner?" Et bien le drastique en moi dirait qu'il est possible d'annuler son abonnement à Vidéotron ou à Bell (je l'ai fait); il est possible d'arrêter de louer des films ou d'emprunter des livres à la bibliothèque; il est possible de faire preuve de discrimination pour aller se chercher des œuvres de qualité, même quand ils s'inscrivent dans une niche bien précise (rien de plus facile avec l'Internet); il est possible, aussi, d'arrêter de consommer consommer consommer, que ce soit de l'Art ou de la shit, et d'aller prendre une marche, de jouer à un jeu avec nos proches, jeunes ou vieux; il est possible, aussi, de revisiter les œuvres que l'on connait déjà (une pseudo-abomination pour bien des gens, causée j'ai l'impression par cette appétit pour la Nouveauté que l'on nous inculque dès le plus jeune âge, de la même façon qu'on nous apprend à séparer en genres et en catégories)...
Bref, il est possible de décrocher. Mais les gens ne le font pas. Car, dans le fond, peut-être que ça n'occupe pas pour eux la même place que pour moi ou toi; peut-être que l'imaginaire est une valeur qui n'est prisée que par une poignée d'excentriques. Peut-être — vision d'horreur — que ça a toujours été ainsi, et qu'on a devant nous un autre de ces mythes dévastateurs, anciens et monolithiques, qui ne sont véhiculés d'un siècle à l'autre que parce qu'ils sont utiles aux Dirigeants: la vision selon laquelle l'artiste, le créateur, le peintre, l'écrivain, le poète, le musicien, le dramaturge, le philosophe, le penseur, ont réellement leur place dans une civilisation humaine.
Mais bon, tout ça se limite à ma position bien personnelle... je ne suis pas jeune et je n'écris presque plus et j'ai un emploi qui me fait chier et je suis un dépressif chronique qui devrait probablement capituler et enfin accepter de se médicamenter.
D'où la réserve dont je fais preuve avant d'aller mettre mes mots sur le blog des autres.
Mais je te remercie encore une fois d'avoir pris le temps de me répondre.
* * *
P.S.: Tu connais l'écrivain Thomas Ligotti? Je suis intéressé par le peu que j'ai pu apprendre sur lui, et je vais me procurer un des ces livres très prochainement.
Je ne peux m'empêcher de rajouter, presque deux mois plus tard, que si je choisis de ne pas me "joindre à la discussion", c'est parce qu'en fait il n'y a pas de discussion. Il y a, comme toujours, des monologues. Que mon commentaire du 27 octobre soit resté sans réponse en est la preuve ou du moins la démonstration.
Je n'en ressens pas de rancoeur, mais je tenais à le souligner.
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