8 avril 2008

Dilemme [deuxième partie]

Pour expliquer mon dilemme, il faut en quelques sortes que je m'explique, moi.

Je suis parfaitement conscient d'avoir un intellect inhabituel (pour employer un terme assez neutre). Je maintiens que je suis à la limite de l'autisme, et même si ça ne veut rien dire, les tests disponibles sur le Net (comme celui-ci) semblent le confirmer, ou du moins mettre en évidence une déviation significative de la norme. Ce qu'il importe de mentionner, c'est que les confrontations, les changements, me rendent anxieux, au plus haut point.

Enfant, le début de l'école primaire m'a plongé dans de profondes (et secrètes) angoisses, mais je m'y suis fait. Le passage au secondaire a été (tout aussi secrètement) traumatique, mais éventuellement je m'y suis fait aussi, malheureux mais trouvant le moyen d'endurer la chose en intensifiant mes doses d'Imaginaire. Puis, ça a été le Cégep. Angoisse. Double angoisse, parce que le Réel lentement me rattrapait, et avec lui l'obligation imminente de me choisir une branche, de m'enligner vers un "métier". À défaut d'autre chose, je me suis dirigé vers la littérature. Pourquoi? Parce que j'écrivais, et que j'ai toujours aimé les livres. Je ne voyais pas vers quoi d'autre je pouvais me diriger, entrant lentement dans cette Déprime qui me suit depuis, commençant à avoir envie de mourir, et me sentant si irrémédiablement attiré vers l'Écriture et les dévouements qu'elle rend possible.

Après quelques années difficiles mais où je n'avais pas eu à me poser de questions quant à mon avenir, je me suis retrouvé avec un diplôme symbolique mais des dettes étudiantes bien réelles (mes parents --- pauvres d'avance --- ne pouvant pas m'aider, étant maintenant séparés, ma mère étant sur le BS et mon père guère mieux, et moi ne m'étant pas trouvé d'emploi, préférant passer du temps avec ma jeune sœur, l'aidant avec ses devoirs, me disant que ma présence ne pouvait que lui être bénéfique).

"Ah, what the fuck, je vais jouer le jeu et continuer. La suite logique. Suivons la meute, et allons à l'Université."

L'angoisse de la nouveauté, encore une fois, à la différence que je me sentais dorénavant protégé par l'Écriture, celle que j'avais derrière moi, et celle que je sentais, puissamment, devant moi. Quoi qu'en disent mes proches, mes profs, mes poches. L'appel sacré de l'Art, et les convictions que cela alimente.

La conviction de m'opposer à ce qu'on voulait m'enseigner. La conviction de mettre un terme à mes études, après une seule session. La conviction de rentrer chez moi, au propre et au figuré, et de passer quelques mois à ne rien faire d'autre qu'écrire, lire, penser, rêver, dans un appartement avec ma mère et ma sœur. La conviction de prendre ce qu'il me restait de prêts étudiants, et de m'en aller passer deux mois en France. La conviction, à mon retour, de m'enligner vers le Travail la tête la première, me disant que peu importe où je me retrouverais, peu importe ce que je me trouverais à faire, j'aurais l'Écriture.

Utilisant la logique (l'outil le plus pratique des gros bêtas comme moi), je me suis dit: "Pour continuer à écrire, je dois me supporter. Pour me supporter convenablement, je dois trouver faire appel à mes 'habiletés', peu importe ce qu'elles sont. En quoi est-ce que je suis bon, pour utiliser la formulation sempiternelle? En informatique, j'imagine."

Me lancer dans des cours de rattrapage en mathématiques, donc, et puis me lancer dans des études intensives me donnant un autre diplôme, plus que symbolique celui-là. Me retrouver, à peine quelques semaines après l'obtention de mon diplôme, avec la possibilité de travailler pour ce qui est finalement une des plus grosses shop informatique du Québec, un emploi stable, avec de bonnes conditions.

Je me suis alors dis, naïvement, paresseusement: "Je peux enfin respirer, j'ai mon emploi, je peux maintenant arrêter de penser à tout ça (l'aspect terre-à-terre de ma vie), et me concentrer sur ma Vie, ma Compagne, et l'Écriture."

Ce fut sans doute ma première grande erreur (à moins que ça ne soit la deuxième, la première étant de m'être dirigé en informatique).

Depuis ce temps, je m'enfonce. Oui, je suis comblé par ma Compagne et les trois enfants que j'ai eus, mais faut croire que ce n'est pas assez puisqu'intérieurement, je sens que je dépéris, que je me désagrège.

Dans le moment, je n'écris presque plus. Je lis à rythme de tortue. Je vois un film de temps à autre. Je ne suis plus rien qu'un Esprit qui pense. Je déteste mon emploi, ai l'impression de gaspiller ma vie, mais ne peux pas arrêter, parce que nous avons trop d'obligations financières. Je suis important pour ma Compagne et mes Enfants, mais je me dis parfois que si je mourrais, ça serait peut-être mieux pour eux (car un mari/père aussi déprimé que moi, ça ne peut pas être bon, à long terme, pour eux).

Mais j'endure et je persiste, dans le silence. Et quand je traverse un pont, à 3h30 du matin, je prends une grande respiration et je regarde vers l'avant, parce que l'envie de sauter est grande.

2 commentaires:

Le Mercenaire a dit...

J'ai récemment eu une discussion avec le Doc. Lui aussi se sentait dépérir en dedans parce que le créateur en lui ne trouvait plus moyen de se réaliser, qu'il s'atrophiait comme des muscles depuis longtemps inutilisés.
Il est évident que ton malaise doit -en partie du moins- provenir de cette silencieuse déception. Mais ne la laisse pas assombrir le dévouement que tu portes à ta petite famille (qui en passant est des plus honorables).
J'ai remarqué que le pire et le plus sournois des effets que produit une passe ruff c'est l'impression que cette passe perdurera. Pour toujours. Mais ce qui est inévitable, c'est le changement. Ta situation, aussi paralysante semble-t-elle être, va changer. C'est sûr. C'est une autre façon de te dire "Garde espoir!".

Aimon a dit...

Bonjour. Merci d'avoir pris le temps de me lire, et puis de me commenter.

Je pense que tu saisis bien l'essence de la chose. Et tu as raison, quant à la sensation que le pire durera.

Dans mon cas, ça semble persister depuis des années (je n'ose même pas dire combien), et les bénédictions (Compagne & Enfants) ne me semblent qu'être des incidences de mes convictions les plus entêtées... lentement grugées.

J'espère que tu as raison, et que ça va changer, d'une manière ou d'une autre.

Encore merci.