3 avril 2010

Vieille affaire

[Restant dans le sujet soulevé par Le Mercenaire, et le commentaire laissé par Raymond Bock, un vieux truc noté jadis, le 13 novembre 2000...]

Confronté à la Fin du Monde plus ou moins imminente, c'est par pur instinct de survie que je veux tout de même avoir des enfants. Pour m'assurer, par extension, d'être là jusqu'à la Fin. Je vais lui dire, à mon enfant: "L'Humanité achève, cher enfant. Rappelle-toi que ce n'est pas de ta faute. Profite de ta Vie, à tout prix. Et n'aie pas honte d'avoir à ton tour des enfants. Tu ne les condamnes pas, en les faisant naître dans un monde mourant. Au contraire, tu viens l'enrichir, pendant que c'est encore possible."

À toutes les époques les gens ont dû se dire: "Est-ce une bonne chose de faire naître quelqu'un dans ce monde si cruel, corrompu et immoral?" Nous n'avons pas à nous priver à cause de l'État du Monde. Nous sommes aussi bons. Bannissons la culpabilité.


Quelle idée d'avoir eu des enfants au Moyen Âge, il y a mille ans, deux mille ans, et ainsi de suite. La Vie est inhospitalière, et l'a toujours été.


Et (c'est l'égocentrique en moi qui rêve de ceci), il serait bien qu'avec moi commence une lignée d'Observateurs, d'Écrivains, jusqu'à la fin. Non pas les Premiers Écrivains, mais les Derniers… jusqu'à la Fin, mon petit-fils, ou mon petit-petit-fils, qui décrirait pour personne la Fin de la Race Humaine.

6 commentaires:

Alexie M a dit...

C'est beau.

Anonyme a dit...

Quelle coïncidence. Je viens d'avoir un enfant, un petit garçon, il a six mois. Évidemment, il n'a rien à voir avec la médiocrité humaine et la haine qu'elle me fait ressentir très, très souvent. Il aura bien l'occasion de se ranger du côté des merdeux au cours de sa vie, mais pour l'instant, il est plutôt, dans sa proximité immédiate, et grâce au bien-être que je ressens avec sa mère, la première expérience véritable que je fais (en toute conscience) de l'amour. Je spécifie «en toute conscience» car à le voir répondre à notre émotion, il est clair que notre enfant nous aime aussi. J'en déduis que ça devait être similaire quand j'étais moi-aussi dans ma prime enfance, alors que je n'en garde aucun souvenir. Ce ne sont que des traces primordiales, et si l'amour filial existe réellement, il prend forme tout de suite ou jamais, j'imagine.

Mais cela est fort égoïste: après avoir perdu tout espoir en la politique et aussi en la culture en tant que manifestations sociales (désespoir qui m'a entretenu très longtemps dans la mélancolie), je retrouve une certaine confiance en la vie (et peut-être aussi, pour employer un autre terme abstrait et aussi insignifiant au bout du compte, en l'humanité) grâce à ce que j'expérimente directement: famille, amour, amitié, défis intellectuels, artistiques et sportifs. Je deviens ce que j'ai déjà profondément détesté: un individualiste. Mais ce n'est qu'un mot qui compte un nouveau sens, car avant, dans mon esprit, un individualiste était d'abord et avant tout un consommateur. Ce que la bouillie altermondialiste peut nous faire croire...

Que les artistes soient plus suicidaires que d'autres, je ne sais qu'en penser. Ce sont des drames personnels au premier chef, symptômes de maladie mentale, d'épuisement, parfois aussi combinés à un rapport direct au social. Aquin et sa révolution manquée en est un exemple.

Je ne sais pas si mon fils sera un artiste comme ses parents et honnêtement, je le souhaite beaucoup. Nous aurons d'autres enfants et je souhaite qu'ils soient tous des artistes. Je ne sais pas ce que serait le monde s'il y en avait plus, des artistes. Peut-être ne serait-il pas meilleur.

Aimon a dit...

Merci à vous deux.

Raymond, je vais devoir relire ton mot plusieurs fois avant de pouvoir y répondre (même si je sais que ma réponse n'est ni nécessaire ni même nécessairement voulue).

Rapidement, à froid, comme ça, à 23:41 d'une longue journée avec trois de mes enfants, je dirais que je me sens beaucoup moins artiste aujourd'hui que le jour où j'ai notée cette idée. Mais il reste que je trouve que c'est l'Art, sous toutes ses formes et vu selon tous les angles, qui est pour moi la seule chose qui a encore le pouvoir de l'Étincelle. Et parfois, Étincelle = Feu.

Mes amitiés.

Anonyme a dit...

Il y a un double sens dans ta réponse, je ne sais pas ce que tu veux dire par «pas nécessairement voulue»; si tu crois que c'est parce que je ne la voudrais pas, tu fais erreur; si c'est que tu répondrais quelque chose d'improvisé, d'automatiste, lâche-toi lousse.

Aimon a dit...

En fait, ce n'est ni l'un ni l'autre. Ce que je voulais dire, c'est que tu n'avais sûrement pas laissé un commentaire dans le but d'obtenir une réponse, mais que pour le plaisir de l'échange j'allais tout de même m'essayer.

Ceci étant dit, je ne suis pas encore prêt à le faire. À suivre...

Aimon a dit...

(Bon, finalement je ne voulais pas laisser ça en suspend trop longtemps...)

Enfin, Raymond, un retour je l’espère intéressant sur ton judicieux & généreux commentaire.

Je trouve très juste tout ce que tu décris par rapport à l’amour spontané pour un enfant. Je l’ai ressenti à la naissance de mon premier, de mon 2ème, 3ème, et tout dernièrement à la naissance de ma Petite. Ma Fatigue est grande et omniprésente, mais qu’importe; cet amour s’auto-suffit, il n’a pas besoin d’eau ou de lumière ni même de racine. Il est là, et de penser qu’il n’est qu’un programme dans cet ordinateur qu’est notre cerveau n’y change rien. Je les aime même en l’absence d’amour propre, et comme tu l’exposais dans ton deuxième paragraphe c’est de ça que moi aussi j’arrive à tirer un espèce « d’espoir ». Disons que ça m’a obligé à me positionner, avec ma Compagne, pour concrétiser des convictions. Nos divers choix familiaux nous confrontent à beaucoup d’incompréhension et même d’embûches, alors c’est pour moi un fameux combustible que de savoir que c’est pour eux, ces êtres qui sont Énergie Incarnée (et donc Lumière, Chaleur, Rire), que je me bats, que je m’abruti à un travail que je n’aime pas, etc. Ce qui autrefois était sollicité en moi dans l’acte d’écrire, l’est maintenant par la vie de tous les jours. Mon imagination est usée et flasque, mais j’ai en moi les restes de décennies de mondes imaginaires, comme des sédiments ou des fossiles, que je peux invoquer à volonté, sans efforts. Je ne suis plus artiste (si je l’ai été); je suis comme à une autre phase de cette démarche. Et un jour, peut-être, je parviendrai à une autre phase encore; je n’essaie même pas de prévoir, d’anticiper ou d’y rêver. On verra. Je suis, comme tu le dis, un individualiste, ou un individu, l’un n’allant probablement pas sans l’autre.

Pour ce qui est de l’aspect suicide, je ne sais trop quoi en dire. Je ne suis pas très doué pour l’analyse. Tout ce que je connais, c’est mon propre parcours, ainsi que quelques autres que j’ai pu observer de plus ou moins proche. Et ce que je peux en dire, c’est que c’est toujours plus compliqué que juste une seule cause.

Je souhaite moi aussi que l’Art, la Création, fasse partie du tissu relationnel entre moi et mes enfants. Je ne sais pas moi non plus si ça rend le Monde meilleur, mais je sais que ça rendrait *mon* monde beaucoup plus vibrant. Et j’ai tendance à croire que plus il y a de monde qui vibre, plus ça rayonne.

C’est un réel plaisir que d’échanger. Merci.