11 décembre 2008

Note manquée (mais aux lacunes révélatrices)

Ça fait longtemps que j'ai compris que pour chaque malédiction il y a une bénédiction, pour chaque malheur un avantage à en tirer. C'est peut-être la seule fibre optimiste que je détienne.

J'ai compris cette semaine que tout ce qui m'accable (vie professionnelle où je me sens prisonnier; désespoir ressenti face à un Monde qui me semble être en train de s'affaisser ([1], [2]); sentiment d'aliénation causé par l'impossibilité de baigner dans ce qui me fait vibrer, c'est-à-dire les livres, l'écriture; tristesse de ne pas pouvoir être avec mes enfants plus que quelques heures par semaine, et ne l'étant qu'avec des facultés intellectuelles affaiblies par la fatigue) est finalement un bouclier contre la normalité. Mon désespoir et mon désarroi m'inoculent contre le somnambulisme ambiant. Pour ce que ça vaut, je ne suis pas une copie conforme de mon voisin; je suis plutôt un pantin impuissant qui se serait coupé les cordes, déjanté et déformé par les années, protégé de la propagande par ses handicaps psychiques.

Dans le même ordre d'idée, mon effondrement moral fait en sorte que je ne suis pas sensible à la plupart des sources de stress qui semblent affecter mes contemporains, pas pris dans les tentacules des vaines préoccupations qui les embourbent. Je pourrais être mort demain, et le serai très certainement dans quelques décennies; je mâche et remâche cette Vérité sans arrêt, tout le temps, tous les jours.

Donc… le Temps des Fêtes ne me stress pas, je me fous plus ou moins de mes dettes, de ce qu'on pense de moi, des sports organisés, de qui est au Pouvoir, des vedettes et de la télé et des faits divers sans importance que l'on essaie de nous faire passer pour des "nouvelles", de l'état de mon fonds de pension, etc.

Il y a des gens qui souffrent bien plus que moi; il y a des gens qui sont torturés, mutilés, exterminés, quotidiennement, et la plupart du monde s'en fout. La corruption est généralisée, avec l'avarice cannibale qu'elle sous-entend. En face de ça, on dirait que tout en moi s'écroule.

Donc… je ne vote pas, et ne m'intéresse pas aux débats, aux frasques de tel ou tel candidat; la venue imminente d'une crise économique ne me surprend pas et ne m'inquiète que dans la mesure où j'ai des enfants à nourrir, et que --- comme tous mes concitoyens --- je serai pris au dépourvu le jour où les épiceries cesseront de pouvoir nous vendre de la nourriture; je ne recherche pas l'accomplissement dans ma vie professionnelle, ne l'ai jamais recherché, et n'essaierai pas de vendre à mes enfants la salade sempiternelle que même mon père hippie/dysfonctionnel/rebelle m'a servi… le jour venu, je les encouragerai à se mettre sur le BS et à dessiner toutes la journées, si c'est ce qui les allume…

Nothing matters. We're all gonna die. Il faut vibrer, aimer, tripper, et ne pas propager la Souffrance. Ça se résume à ça pour moi.

9 commentaires:

The Swamp's Song a dit...

Ce texte me parle beaucoup Cher Ami, Tout à fait d'adon et je n'ai absolument Rien contre. On ne devrait rien avoir à lui ajouter, et pourtant, j'ai tenté de lui " esquisser " une quelconque réponse, hermétique par bouts j'en conviens, mais tout de même, ce sont juste mes mots...qui s'effritent...comme la pierre.

Merci d'écrire, c'est tout ce qui compte maintenant, à part manger.

Bonne fin de semaine...

L.

Aimon a dit...

Merci. J'ai beau être un Ermite-Fou, votre présence est tout de même comme un souffle qui attiserait les tisons d'un feu mourant. Je le dis souvent, mais merci pour votre fidélité.

Je vais lire votre réponse à l'instant.

The Swamp's Song a dit...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Alexie M a dit...

Pour Paul Chamberland, nous n'habitons pas un monde ne train de s'affaisser, mais un monde un monde aspiré, tout tendu vers l'imminence de sa propre fin. Et c'est ce qu'il propose comme «solution», ne plus, en aucun cas, agir sous le coup de la haine ou de la colère, toujours tenir compte de l'autre vulnérable quand on agit.

J'ai souvent l'impression que la souffrance est pire parce qu'on ose réfléchir à tout ça : «Si le mot « fin » désigne, ne fût-ce qu’approximativement, ce qui est en cours actuellement dans le réel, le tourment n’est pas pour autant atténué, mais, au lieu de me débattre emmuré dans une hallucination, je suis brutalement expulsé hors de moi et confronté à l’épreuve de ce Dehors intraitable que serait devenu en bloc tout le réel.»

Mais bon. Essayons de faire le bien, et écrivons.

«Ce qui fait écrire veut la jouissance, il la tire d’arracher son sujet à l’attraction du trou noir qu’est le réel pour lui. Ce qui fait écrire est aussi bien ce mutisme faisant bloc à la source du dire. Le sujet suffoque au milieu de la pensée comme si le plus intime avait été retourné en un Dehors radical.»

N'ayons pas peur d'écrire et de dire parce que notre parole de personne sans espoir est discréditée par ce monde qui ne jure que par l'objectivité. Pas besoin de preuves pour saisir que toute s'en va sul y'abe. « Nous en savons assez ».

«Je fais le pari d’obtenir des propositions qui rétablissent, par delà le chaos traversé, un version cohérente du réel. Je fais la pari, comme on plonge dans le nulle part, d’échapper à l’anéantissement spirituel auquel peut conduire le sentiment de la fin.
Ces phrases arrachées au trou noir du réel, il est cependant impossible de revendiquer pour elles quelque autorité que ce soit.»

Citations Paul Chamberland, Une politique de la douleur, un livre à lire, qui ne rend pas nécessairement plus heureux, mais un peu plus fort et fier.

Aimon a dit...

Merci, Al, pour tes mots, ainsi que ceux de Chamberland (je note ta suggestion, merci). Tous (mots), ils me laissent penser que même dans la Fin (qu'Elle soit vraie ou pas, imminente ou lointaine), il est possible pour ceux qui la ressentent de s'épauler. Je le savais, mais parfois même ce que l'on *sait* est ébranlé, et a besoin d'être un petit peu confirmé.

Mes amitiés.

Alexie M a dit...

Ça fait longtemps, mais pas assez pour qu'il ne vaille pas la peine de te les rendre, tes amitiés.

Aimon a dit...

Merci, j'apprécie.

Montag a dit...

"We are all gonna die..."

It would not be so bad, were it not for the fact that it always comes to us as a total surprise.
And it comes usually just after we discover what monsters we are.

Aimon a dit...

And you are...?