Sur le Fleuve la glace commence à peine à se former; ne pas savoir qu'on est en décembre et on pourrait croire que l'on a devant nous la toute fin de la débâcle printanière. C'est tout le contraire; l'Hiver ne fait que commencer en fait. Nous sommes à huit jours du Solstice, la lune est presque pleine, et le matin le ciel prend des teintes de bleu si riches, presque aquarelles dans leur pureté. Mais ce n'est pas ce qui me surplombe en ce moment; c'est l'après-midi, et le soleil est seul au monde.
Dans mes oreilles la 1ère Gnocienne entonne comme une tonne de brique, j'ai envie de la décrire avec toute la violence qu'elle mérite, mais le papier sur lequel j'écris a été aspergé de café alors je dois faire attention pour ne pas le transpercer de la pointe de mon crayon. Je l'écoute, et je pense: exode; exil; ahuri devant l'inexorable. Sans sens ni raison.
Je suis encore capable d'une sensation d'ouverture devant quelque chose d'aussi banal qu'un pont ferroviaire bordé d'arbres. D'une envie de solitude recueillie en voyant un cimetière villageois. D'une impression d'école buissonnière en voyant les enfants par la fenêtre de cette école. D'une passion face à une maison abandonnée qui pourrait être hantée.
Si j'ai été si obéissant toute ma vie, ce n'est pas par peur d'être puni ou réprimandé. C'est tout simplement que je privilégiais (et continue de privilégier) l'anonymat de l'Inaperçu. Ne pas me faire voir, ne pas me faire remarquer, marcher derrière, en silence, écouter, et ne pas avoir à parler.
À l'époque mes parents étaient fiers de moi, vantaient la vertu de leur fils, mais à long terme ça les a laissé désemparés, je pense: ils ont l'impression de ne pas me connaître, de ne pas savoir qui je suis. Qui est cet être docile, placide, qui n'exprime ni joie ni colère, mais chez qui on sent parfois une inexplicable douleur?
Je n'ai trouvé que l'Écriture pour le dire. Or, ils n'en ont rien à foutre. Tant pis, tant mieux, j'en ai soupé de me sentir coupable et redevable.
Je vois ces arbres dépouillés, leur décharnement squelettique, et je me souviens que c'est toujours ce que je voyais, avant, alors que j'étais en train de ne pas écouter un prof ou un autre, assis dans un bunker de béton appelé poly-va-lente, et que j'essayais de visualiser la géographie lointaine de mes amis de Jonquière, Martine et Philippe. Je fermais les yeux, je tentais de me déplacer par l'esprit, et inexplicablement je ne voyais toujours que les hautes branches d'un arbre en plein hiver, même quand c'est le soleil de la fin du mois de mai qui chauffait le goudron cancérigène du toit de la poly.
Tiens, une usine de béton. Sans discrimination les oiseaux noirs se posent sur sa toile de fils électriques; NO TRESSPASSING, ça ne s'applique pas à eux. La passerelle qui ici passe au dessus de la route, au dessus de moi, qu'est-ce qu'on y achemine? À quelle race devrais-je appartenir pour pouvoir l'explorer paisiblement, de manière inoffensive, sans qu'un type consciencieux m'interpelle, m'arrête, me confie aux Autorités parce que je ne peux être que mal intentionné?
Et puis combien de temps il faudrait que je dorme pour ne plus voir des maudits visages pancartés sur les poteaux? A-t-on vraiment besoin de savoir de quoi ils ont l'air? Est-ce que ça change quoi que ce soit?
Ce que ça devait être beau ici, avant toutes ces maisons… je suis maudit, toute ma vie je vais être attiré par ces bords de l'eau… vais-je avoir la chance de mourir en un tel lieu, pouvant regarder au loin plutôt que chez le voisin?
La colonie de vacance est nécessairement abandonnée. Seuls les animaux y rôdent. Les fantômes, aussi, peut-être, gémissant le sort de la chapelle en ruine, pleurant les étés d'antan où ils se baignaient dans cette piscine creusée dont le béton maintenant tombe en morceaux. Si je m'y aventurais de nuit, qui me verrait, qui m'en empêcherait?
"Condos du Fleuve"? Oui. Et puis ce sera "Condos de la Ville", "De la Région", "De la Province", jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que ça, des foutus condo-dominion partout partout.
Dans mes oreilles la 1ère Gnocienne entonne comme une tonne de brique, j'ai envie de la décrire avec toute la violence qu'elle mérite, mais le papier sur lequel j'écris a été aspergé de café alors je dois faire attention pour ne pas le transpercer de la pointe de mon crayon. Je l'écoute, et je pense: exode; exil; ahuri devant l'inexorable. Sans sens ni raison.
Je suis encore capable d'une sensation d'ouverture devant quelque chose d'aussi banal qu'un pont ferroviaire bordé d'arbres. D'une envie de solitude recueillie en voyant un cimetière villageois. D'une impression d'école buissonnière en voyant les enfants par la fenêtre de cette école. D'une passion face à une maison abandonnée qui pourrait être hantée.
Si j'ai été si obéissant toute ma vie, ce n'est pas par peur d'être puni ou réprimandé. C'est tout simplement que je privilégiais (et continue de privilégier) l'anonymat de l'Inaperçu. Ne pas me faire voir, ne pas me faire remarquer, marcher derrière, en silence, écouter, et ne pas avoir à parler.
À l'époque mes parents étaient fiers de moi, vantaient la vertu de leur fils, mais à long terme ça les a laissé désemparés, je pense: ils ont l'impression de ne pas me connaître, de ne pas savoir qui je suis. Qui est cet être docile, placide, qui n'exprime ni joie ni colère, mais chez qui on sent parfois une inexplicable douleur?
Je n'ai trouvé que l'Écriture pour le dire. Or, ils n'en ont rien à foutre. Tant pis, tant mieux, j'en ai soupé de me sentir coupable et redevable.
Je vois ces arbres dépouillés, leur décharnement squelettique, et je me souviens que c'est toujours ce que je voyais, avant, alors que j'étais en train de ne pas écouter un prof ou un autre, assis dans un bunker de béton appelé poly-va-lente, et que j'essayais de visualiser la géographie lointaine de mes amis de Jonquière, Martine et Philippe. Je fermais les yeux, je tentais de me déplacer par l'esprit, et inexplicablement je ne voyais toujours que les hautes branches d'un arbre en plein hiver, même quand c'est le soleil de la fin du mois de mai qui chauffait le goudron cancérigène du toit de la poly.
Tiens, une usine de béton. Sans discrimination les oiseaux noirs se posent sur sa toile de fils électriques; NO TRESSPASSING, ça ne s'applique pas à eux. La passerelle qui ici passe au dessus de la route, au dessus de moi, qu'est-ce qu'on y achemine? À quelle race devrais-je appartenir pour pouvoir l'explorer paisiblement, de manière inoffensive, sans qu'un type consciencieux m'interpelle, m'arrête, me confie aux Autorités parce que je ne peux être que mal intentionné?
Et puis combien de temps il faudrait que je dorme pour ne plus voir des maudits visages pancartés sur les poteaux? A-t-on vraiment besoin de savoir de quoi ils ont l'air? Est-ce que ça change quoi que ce soit?
Ce que ça devait être beau ici, avant toutes ces maisons… je suis maudit, toute ma vie je vais être attiré par ces bords de l'eau… vais-je avoir la chance de mourir en un tel lieu, pouvant regarder au loin plutôt que chez le voisin?
La colonie de vacance est nécessairement abandonnée. Seuls les animaux y rôdent. Les fantômes, aussi, peut-être, gémissant le sort de la chapelle en ruine, pleurant les étés d'antan où ils se baignaient dans cette piscine creusée dont le béton maintenant tombe en morceaux. Si je m'y aventurais de nuit, qui me verrait, qui m'en empêcherait?
"Condos du Fleuve"? Oui. Et puis ce sera "Condos de la Ville", "De la Région", "De la Province", jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que ça, des foutus condo-dominion partout partout.
Un utilisateur anonyme a dit…
Nobody does it better..than you.
mars 18, 2006 6:09 PM
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mars 18, 2006 6:09 PM
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