28 septembre 2004

Faux Latin: De Prime Antes

En dedans tout est Fatigue;
en dehors tout est Tracas;
que peut-il rester
du "meilleur de moi-même"?

* * *

Des journées comme aujourd'hui, je me dis que je ne pourrai pas continuer comme ça pour longtemps. Ça fait déjà cinq ans que j'occupe cet emploi, cinq ans à ne pas aimer ce que je fais.

Aujourd'hui, donc, assis à mon bureau, j'ai eu en Tête un sentiment familier, que je me souviens avoir ressenti --- enfant --- alors que je marchais sur Ste-Catherine avec ma mère, près de l'UQAM (voyant un immeuble où il était écrit "DUPUIS" en grosses lettres, j'associais ce que je voyais à un décor d'album de Gaston Lagaffe, quand ce dernier roule dans une ville sale avec sa bagnole hyper-polluante). Un désespoir sans nom, gris et pluvieux, qui ne laisse aucune place à la Vie humaine. Seulement, enfant, je tombais dans ces poches de désespoir un peu par surprise, et puis ça passait. Mais aujourd'hui j'ai été dans cet état pratiquement toute la journée, ou en tout cas aussi longtemps que j'ai été dans mon bureau (soit d'environ 8h05 jusqu'à 11h35 --- à ce moment là je suis sorti pour aller manger mon lunch avec mon père --- et puis ensuite de 12h25 jusqu'à mon départ vers 16h25).

À la polyvalente j'ai enduré cinq ans et puis ensuite j'ai enduré environ trois ans de Cégep/Université, et puis un peu plus tard environ six mois de rattrapage en mathématiques pour 1 an et demi de cours intensifs en informatique. Et puis cet emploi, qui ne me promet de fuite que dans une trentaine d'années.

Je ne me rendrai pas, je le sens. Impossible, impensable, que je travaille ici (ou ailleurs dans le même domaine) jusqu'à l'âge de 55 ans. Et pourtant, je n'en ai pas le choix. Les obligations financières me gardent prisonnier (je pense à cette image du Christmas Carol de Dickens, où on voit le fantôme enchaîné de Jacob Marley). Dettes étudiantes (les miennes et celles de Mélissa), hypothèque, pesantes cartes de crédit, éternels comptes mensuels, deux enfants… tout ça dépend de mon unique salaire. Mon naufrage, ça serait le naufrage d'une famille complète.

Je ne peux pas flancher. Je ne peux pas continuer. Tout m'est impossible: le recul, l'immobilité, la progression. Ce qu'il me faut c'est une alternative, un univers parallèle, sans quoi l'issue sera imprévue, et ne viendra pas de moi.

23 septembre 2004

Éphémères tiges d’amertume

Je ne suis pas là. Je suis fait pour regarder le monde passer, pour saisir les subtilités du Temps qui passe et qui repasse. Je suis un fantôme silencieux. Je suis un fantôme, je suis un fantôme, c'est devenu mon mantra. J'aime m'infliger la folie, laisser les Visions grandir dans ma tête, me perdre dans des histoires. Des romans de 800 pages, de 8000 pages, emmenez-en, je sais apprécier la générosité des auteurs. J'ai moi-même des milliers de pages à écrire, je le sais; le délire est mon veston. Je crois en l'amitié même si je n'ai plus autour de moi de grands amis. Le vieillissement se déroule en moi, je change mais en même temps je deviens de plus en plus moi-même. Je ne suis pas là mais on m'y oblige. Comme tout le monde je suis un travailleur, un frère, un fils, un père, un amoureux, un citoyen… mais comme je l'ai fait dire à Philippe, mon personnage, c'est comme un caméléon qui change de couleur pour ne pas se faire manger. Condamné à l'anonymat, à la solitude, au statut de mouton noir confus, révolté muet, enragé souriant, riant de tout et de rien, pour toujours. Fils de hippies qui n'a pas plus de respect pour son époque que pour celle de ses parents que pour celle de ses grands-parents. Je ne suis pas fait pour gagner ma vie, mais pour la comprendre (c'est du moins ce que je me plais à penser). Rien à foutre de la vie que je mène actuellement, je rêve de vendre ma maison de lâcher ma job de me débarrasser de tout et de partir avec ma Belle et mes deux petits garçons, respirer l'air de notre monde pendant que c'est encore possible, fouler les Forêts du globe pendant qu'il en reste encore, me défaire de mon luxueux costume de nord-américain. Je ne sais pas ce que je dis mais je sais qu'en le disant j'avance et évolue. J'ai perdu espoir de réaliser mes rêves mais pourtant je continue de mieux me les définir. Mon fatalisme n'a jamais été aussi grand, je ne prends plus plaisir à rien (ou presque), mais je continue de me sacrifier pour maintenir ce mode d'existence. Je ne me comprends pas, ou plutôt je ne me comprends pas en relation avec ceux qui m'entourent. J'aime la solitude parce qu'on ne m'en laisse pas le choix, parce que j'ai trop à faire et pas assez de temps pour le faire, et que les banalités sociales ne me viennent pas naturellement et que la majorité de nos contacts sont des banalités sociales alors je préfère laisser faire. Se mettre à haïr parce qu'on est trop gentil, et que personne n'a d'égard pour la gentillesse. Sentir que sa fin est proche, que tout est peut-être une dernière fois. De moins en moins capable d'être autrement que moi-même. L’érosion se manifeste de plus en plus, et la seule défense que j’ai c’est de continuer, continuer jusqu’à --- et malgré --- l’épuisement (ce qui peut-être ne fait qu’exacerber l’érosion, et ainsi de suite, jusqu’au naufrage).

Être pourtant capable de se nourrir d'un rire, d'un instant d'après-midi parfait, d'une sieste chaleureuse dans le même lit qu'un être aimé, d'une petite idée notée en cachette, d'une grande idée qui transfuge la journée, d'une petite promenade où tu découvres un petit joyau géographique.

Je suis triste mais…

J'ai cette phrase dans la tête depuis des années. Je n'ai jamais réussi à la continuer. Est-ce que ça veut dire que je n'avance plus?