Dans tes douleurs, tes angoisses et tes désespoirs, tu dois garder en tête que le temps avance toujours à la même vitesse, et qu'une minute de détresse n'est pas plus longue qu'une minute de bien-être, et que la Noirceur se terminera aussi vite que la Lumière.
17 décembre 1999
3 novembre 1999
Il n'y a pas de vérités, seulement des Interprétations. Et le texte fictif, n'imposant pas de Vérité, mais se contentant de montrer, nous permet de percevoir la Réalité du coin de l'œil, en émotions et en sensations, non en phrases catégoriques ou en énoncés définitifs. La recherche du définitif est un cul-de-sac. La science exacte comme état suprême de compréhension du monde, est un mensonge (mensonge d'autant plus grave qu'il n'est pas complètement faux, et qu'il ne veut pas avouer que l'omniscience est impossible).
2 septembre 1999
[Origine de cette pensée: je m'imagine vieux, sur mon lit de mort, faisant la requête à un de mes enfants de me mettre les Partitas pour Violon de Bach… dans ce futur il est interdit de posséder des enregistrements personnels de musique. On doit se connecter et payer pour l'écoute de telle ou telle œuvre. Le Vieux Simon se désole de cette dépendance, de cette exploitation; son enfant trouve son vieux père grincheux et antique.]
Il y a deux Esprits Révolutionnaires.
Il y a celui qui appartient à la Jeunesse, qui s'indigne de voir la Médiocrité de la Réalité Existante, et qui conçoit Mieux. Il voit tout ce qui pourrait être créé, tout ce qui n'existe pas mais qui le pourrait. Il conçoit l'Utopie.
Puis il y a celui qui appartient à la Vieillesse, qui s'indigne de voir tout ce qui – depuis sa naissance – a disparu, tout ce qui était bon et qui s'est dégradé, tout cette richesse qui disparaît au nom de l'Innovation.
L'un voit le Mieux qui pourrait être; l'autre le Mieux qui a déjà été. Les deux visions sont aussi puissantes.
13 août 1999
Lettre pour le Voir
Ce n'est pas la première fois que je pense à écrire à votre journal. J'ai même à quelques reprises écris des lettres sans réelle intention de vous les envoyer. Pourquoi? Parce que je ne voyais pas de raison valable d'envoyer un texte qui, fort probablement, ne serait pas intéressant pour personne d'autre que moi. Cette fois pourtant je l'envoie cette lettre, et j'avoue que je ne sais pas trop pourquoi je le fais. Je l'envoie sans trop réfléchir, me faisant momentanément confiance, et vous priant de tout mettre au recyclage si vous jugez que c'est sans intérêt. Voici le témoignage ridicule (mais sincère) d'un montréalais désemparé.
Je travaille depuis quelques mois dans le département d'informatique d'une grosse boîte gouvernementale. C'est ennuyeux, aride, mécanique, sans âme, mais il faut s'y attendre quand on est programmeur-analyste. J'ai honte de ce que je fais; plus encore, c'est en train de me tuer. Je meurs de ne pas pouvoir faire ce que j'aime: écrire. Je ne crois pas être un écrivain talentueux, ni même prometteur. J'écris parce que j'ai l'amour des livres et des histoires et de l'imagination. Je me dis que c'est tout ce qu'il me faut pour avoir le droit d'écrire.
J'ai choisi ma branche (l'informatique) parce que je devais trouver un moyen de gagner ma vie, et que j'avais de la facilité là-dedans. Je me disais que ça ne me demanderait pas trop d'effort même si je n'aimais pas ça, que ça me permettrait de gagner mon pain et qu'avec le reste de mon temps je pourrais poursuivre l'écriture de mes histoires. C'était un sacrifice que je trouvais équitable. Je me suis trompé. Le sacrifice est là, mais sans son pendant positif.
Je travaille mais je suis toujours aussi pauvre qu'avant. Mon chèque de paie est grugé avant même d'atteindre mes poches. Je paie mon appartement, j'achète de la nourriture... je rembourse chaque mois mes prêts étudiants (un petit 15000$ de dettes envers le gouvernement, un détail! et tout ça pour quoi? pour pouvoir perdre 15 ans de salaire à les rembourser), et ensuite il ne me reste presque rien. Les soucis d'argent me pèsent, l'emploi me vide le cerveau, si bien que le soir et les fins de semaines je lutte contre la fatigue et la déprime pour faire de ma vie autre chose que ce qu'elle est du lundi au vendredi, de 8h30 à 4h30. Je passe du temps avec ma femme, j'écris un peu chaque soir, je vois des amis, et je taxe un peu plus mes énergies en fournissant des efforts sur les deux fronts: le travail et ma vie.
Chaque fois que je relis les textes que j'ai écris avant cet emploi, je suis impressionné et chagriné de voir à quel point j'ai perdu de ma verve et du peu de talent que j'avais. Ça affecte aussi la façon que j'ai de faire mon travail au bureau; je n'ai jamais aimé ça, mais maintenant ça me dégoûte. Ça me demande tout ce que j'ai. C'est de ma faute, vous me direz. J'ai choisi ma branche, je dois vivre avec ou changer. C'est vrai. Mais, je ne vous l'apprends pas, beaucoup de gens font comme moi et se résignent à un emploi par nécessité. Voici donc ma question: vous qui comme moi souffrez d'être prisonnier d'un emploi pour pouvoir survivre, et qui avez en vous un désir tout autre, que faites-vous?
Que faites-vous pour vous sortir de cet univers de bureaux et de néons? D'air climatisé et impur; du café bu jusqu'à la nausée pour être capable de performer; des tâches idiotes qui ne servent à rien ni personne mais qui existent pour garder tel ou tel poste en vie; du gaspillage de 30 ans de vie, alors que l'âme rêve de voyage et de création et d'amitiés; de toute une carrière professionnelle qui n'a qu'un seul but: la retraite qui va métamorphoser la vie pour en faire un paradis sur terre, un jardin d'Eden aux apparences de terrain de golf, et une spiritualité aussi vaste qu'un Reader's Digest. Je meurs, et je n'arrive pas à comprendre que mon patron, mon voisin de bureau, tout le monde, se contentent de ça. Il y a quelque chose de profondément cancéreux dans ce mode de vie que l'on s'impose tous, où les plaisirs de l'expérience humaine sont devenus secondaires, tertiaires, quaternaires, sans importance.
Je suis certain que d'autres sont dans ma situation. Je regarde par la fenêtre de mon bureau du centre-ville et je me dis que dans chacun des grands immeubles il y a au moins une personne qui ne se sent pas à sa place, et qui n'a rien à foutre des ambitions de l'Occident. Je ne veux pas conquérir, subjuguer, vaincre, gouverner, terrasser, écraser, impressionner, me battre, m'enrichir, régner… je ne veux pas être Calife à la place du Calife. Alors quoi faire? Je ne veux pas me retrouver dans la rue. Je veux pouvoir manger, et dormir sous un toit. Je ne rechigne pas contre le travail. Je le fais même si je n'y crois pas, même si ça ne reflète pas du tout qui je suis... Mais je ne veux pas non plus accepter que mon travail devienne toute ma vie, je ne veux pas concentrer tous mes efforts vers une carrière que je n'adopte que parce qu'elle me permet de me subvenir.
Et des chansons qui m'apostrophent:
Les Colocs, dans "Pis si ô moin": Des exploiteurs endimanchés / Distributeurs de cochonneries / Et de bonheurs préfabriqués. Ça c'est l'entreprise pour laquelle je travaille…
Jean Leloup, dans "La Chambre": Devrais-je partir ou bien rester? / Devrais-je enfin tout laisser tomber?. Ça c'est ce que je me demande le soir quand je ne peux pas m'endormir…
J'avoue ma vulnérabilité: j'ai besoin de conseils. Je suis malade mais c'est de l'aide de ceux qui sont dans la même situation que moi dont j'ai besoin, et non l'aide d'un psychologue qui va pointer ma maladie du doigt dans un gros livre obèse avant de me prescrire un lobotomisant sous forme de pilules. Je veux améliorer ma situation, et non mieux l'endurer. J'ai espoir; je suis tout simplement à bout de souffle.
Une idée: que tous ceux qui comme moi croupissent à la semaine longue dans le centre-ville se rencontre au Carré Philip le midi pour se serrer les coudes et donner de la saveur à leur journée.
Mon but donc avec cette lettre: entreprendre une discussion, aussi brève puisse-t-elle être (dans le cas où cette lettre ne serait pas publiée, ou dans le cas où – même publiée – personne ne s'y intéresserait). Ne pas me laisser abattre, lutter par l'écriture, et ne pas laisser le résultat de cette écriture dans le fond d'un tiroir. Voilà tout. Aleas jactas. Salut la compagnie. (Et un respectueux bonjour à l'animateur de l'émission de radio "Les Lieux Obscurs", à CISM le mercredi après-midi de 15h à 16h, que j'aime beaucoup et qui d'une certaine façon est celui qui m'a poussé à me manifester, à envoyer une lettre, ses propos ayant fait surgir en moi un enthousiasme amical.)
(Une dernière précision: je n'accuse rien ni personne, et je ne veux pas faire de cette lettre une confrontation... le ton de cette lettre est celui que l'on prend lorsque l'on parle à des amis.)
Merci.
– Philippe Turgeon
28 avril 1999
21 avril 1999
Dîner, et je lis et poursuis Visions of Cody. Je termine la partie du tape, et j’embarque dans Imitation of the Tape, et je trouve que c’est un gigantesque ramassis de souvenirs, de réflexions, de divagations, de laisser-aller. Probablement qu’il s’enregistrait et qu’ensuite se transcrivait. Un bout brouillon de Town & City, je me demande si quelqu’un l’a remarqué… bien sûr que quelqu’un l’a remarqué, ce que je veux dire c’est "Je me demande si je pourrais e n parler avec quelqu’un?". Il parle de ses souhaits, de vivre dans une petite maison en Louisiane et d'être sur le bord d’un feu, de regarder la lune, et est-ce surprenant que je l’aime tant, que j’aime tant ses livres, que j’imagine comme un enfant être sa réincarnation? Je veux dire, son écriture comme de la télépathie la plupart du temps me rentre dans la tête et va toucher des choses qu’aucun autre écrivain va toucher. C’est libérateur d’écrire comme ça, d’improviser sur ses erreurs, j’aime ça. Il me met en tête la futilité d’écrire mais aussi son importance (pour moi). Il me rappelle que je dois faire attention à ma vie, et que je ne dois pas passer ma vie à faire un travail que je n’aime pas, car MES JOURS SONT COMPTÉS ET JE N’AI QU’UNE SEULE VIE. Je pleure dans ma tête quand je le lis, et je dis "Jack pourquoi tu n’as pas arrêté de boire et de te droguer? Tu te serais rétabli… tu n’avais qu’à arrêter 1 an, puis à écrire lentement, à travailler, et peut-être que tu aurais vu du bon à écrire de la fiction, je veux dire la structure comporte des contraintes mais seulement s’y tu t’y consacres entièrement… écrire des romans et en même temps un journal te donne la liberté et la structure, si bien que je sais pas, ça s’équilibre. Je ne peux pas accepter que tout est perdu, que l’amour est un mythe, et que l’amitié est un leurre. Je ne veux pas me résigner, je veux vivre, je vais mourir alors pourquoi ne pas en profiter d’ici là? Vivre avec ma femme et aimer mes enfants et écrire des histoires pour utiliser ma seule arme: l’imagination, ma seule arme contre le temps, la mort et la tristesse, ma seule arme contre l’ennui et l’incompréhensible, ma seule arme contre les conventions anciennes dont je ne veux rien savoir, ma seule arme, la seule arme d’un gars qui ne comprend pas pourquoi ceux qui l’entourent ont des multiples armes, l’imagination ma seule arme et mon seul confort, la seule chose qui m’a donné la force de continuer, qui a donné une motivation à ma vie et qui a donné une optique à mes expériences et erreurs… oui car je suis finalement assez vide, je pense à mes histoires, et à mes amis, mais à bien peu en dehors de ça… et je fais des choses qu’on ne comprend pas et qui blessent… un mariage où tous ne sont pas invités, et ça blesse… un retrait de ma vie familiale et ça blesse… des attentes trop grande de mes amis et ça blesse… de m’être ouvert jeune, m’a nuie dans mon adolescence… le soir j’arrive chez moi et je veux jouer, mais pour être moi même je dois écrire, transcrire pour revenir à mon histoire… quand je note des idées je vois ça comme un jeu, mais c’est beaucoup plus que ça, c’est ma vie, c’est tout ce que je suis, c’est tout, c’est là que je comprends et règle des choses, c’est là que je prends de bonnes résolutions (comme maintenant), c’est là que je deviens un personne meilleure, c’est là que je me vide de ce qui m’empoisonne le sang (comme le fait que ma mère m’avait envoyer chier, et que j’avais oublié), je dois être un exemple, je dois poursuivre mes textes et mes lectures, et être brillant de mes efforts, être respectable (je ne suis présentement qu’un travailleur niaiseux ayant pour ses amis un potentiel d’intérêt). Un souffle, tout d’un coup pourquoi ce souffle? À cause de Jack évidement, et bien sûr que je suis sa réincarnation, je le suis devenu le jour où je l’ai lu et que je l’ai compris et que je me suis ouvert à ce qu’il a fait dit ou écrit, et que j’ai reconnu en sa vie la mienne, que j’ai vu au cœur de son existence la même observation que mon cerveau porte, le même aveuglement sélectif, le même amour égocentrique de ma vie, le même désir de plaisir, d’excitation et de jeu.
Mais je m’arrête car je dois travailler, car si je continue je vais exploser.
18 mars 1999
Nous sommes des parasites de la terre. Il ne faut pas chercher notre "raison d'être"… ce qui s'en rapproche le plus est répugnant.
Voilà pourtant l'horreur, la merveille: nous choisissons d'être plus, nous avons la capacité de résister contre le chaos, de nous créer nous-même; notre cerveau, probablement une anomalie de la nature, transcende le monde primordiale et organique… il fait de nous autre chose qu'une boule de chair inanimée et dont la seule activité est la digestion. C'est la source des pires atrocités, des plus immondes mensonges, supercheries, traîtrises. Mais c'est aussi la source de nobles réussites, de braves actions, d'amitiés inimitables et éternelles, et d'une richesse qui, quoique relativement petite, ne peut faire autrement que d'apporter quelque chose à l'univers.
4 mars 1999
En haut d’une fausse montagne
un pincement dans ma caverne
un chapiteau chancelant que j’érige…
à m’en épuiser.
Nous nous séparons
et nous occupons tous
et obéissons au son du fouet…
mais ce n’est qu’un son.
Autour de moi des livres
lourds de pages mais
plumes de contenu…
repoussants tomes.
Aimerais mieux glisser
marcher et pelleter
lancer ou affronter…
cette neige obstacle qui agrémente mon Mois.
Passer sa journée
le corps en escalier
l’esprit en mauvaise herbe…
sentence que l’on convoite.
Mes ancêtres se sont nommés Pionniers de l’Esprit
ils ont tout essayé et ont ouverts les portes
mais maintenant sont des nains incapables…
(de vieux peureux qui ont mal guéris des étapes de leur vie)
sortis de l’eau ils se sont desséchés et meurtris.
De leurs fertilité commune est survenu le germe
le bocal où s’est accumulé l’ensemble
de leur trésors et malédictions…
mais ils ont oubliés et ne les reconnaissent plus.
La quête qu’ils se sont imposés à leur âge adulte,
moi je la poursuis inconsciemment depuis le début
malgré les blâmes, malgré les encouragements…
et ça fait de moi une anomalie.
Quelque part des amants font l’amour, une jeune fille termine le brouillon de son premier roman, Sylvain Trudel flotte dans l’univers complexe de son histoire inachevée, un enfant naît, une vieille dame se meurt, un tzigane en France claque la porte et part pour l’Espagne, un amazone vient de tuer pour nourrir sa famille, une femme poignarde une brute qui voulait la violer, un jeune révolté trace dans sa chambre un pentacle pour tenter d’invoquer un démon, de jeunes bambins vont pour la première fois au cinéma, Anne Rice regarde par la fenêtre au travers le feuillage touffu pour polir sa prochaine phrase, un travailleur tchèque revient chez lui d’un pas las pour annoncer à sa femme qu’il a perdu son emploi, Tom Waits dort et rêve sa prochaine chanson, deux jeunes femmes partent en expéditions de camping, Martine se remplie le cerveau d’Afrique pour nous en ramener un peu, un groupe de jeunes vont dormir dans une maison abandonnée, une suédoise dans la soixantaine souffre d’insomnie et joue de son violon, Nick Cave revient d’un dîner avec son fils et termine un chapitre de son prochain roman, un jeune archéologue est assis dans une bibliothèque allemande et tente de déchiffrer un parchemin écrit dans un ancien dialecte, Mélissa se prépare pour l’école et a un rapide souvenir d’être aller se baigner avec Miguel, un mexicain ayant absorbé du peyotl scrute dans un exemplaire de National Geographic une photo de la Pyramide de Kheops et a l’idée d’aller se recueillir dans une des pyramides de son pays, une femme explore la maison dont elle vient d’hériter et découvre dans un coffre un manuscrit jusque là inconnu de St-Augustine, Marie sort de son cours et va faire des emplettes en pensant qu’elle va se marier dans quelques mois, un derviche tourneur atteint l’extase et entend une révélation qui le remplit de bonheur et lui donne une raison de vivre, Hugues fixe intensément la dernière peinture informatisé qu’il a réalisé et il s’y plonge avec abandon, un couple marche dans les couloirs sombres de Westminster Abbey et font des croquis de ce qu’ils voient, deux amis décident de fuguer pour se rendre à New York, un plongeur sous-marin remonte à la surface avec le trésor inestimable dans sa tête d’avoir vu une espèce extrêmement rare de baleine, un homme voit le dernier de ses amis soldats se faire tuer et riposte sauvagement de ses dernières munitions, Jim Jarmusch travaille sur Ghost Dog et décide d’improviser une scène…
Un monde complet qui bouge et respire de moments incroyables, d’événements magiques par leur unicité, mais que je manque parce que je dois gagner de l’argent dans un bureau. Je suis loin de ces spéculations que je me faisais à propos du TRAVAIL, où je m’imaginais astronaute, magicien, archéologue, paléontologue, égyptologue, où je voyais l’âge adulte comme un moment où enfin on avait les moyens de poursuivre nos passions, dans mon cas la recherche des mystères de mon Monde.
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