Mon esprit s'est presque complètement délogé de mon corps. Engourdissement. Perte pentagonale des sens. Déception généralisée. Plaisirs localisés et encabanés. Passions devenus habitudes. Finitude du temps, de l'espace, de l'âme, de l'énergie, du destin. Un pas en arrière de moi-même. Émotions que je crées de toutes pièces pour palier à mon insensibilité. Épuisement profond qui s'enracine.
Travailleur, adulte, employé, citoyen, contribuable, ouvrier, prestataire, salarié, tous des synonymes d'esclave.
Je n'arrêterai jamais de le penser, de l'écrire, de le dire. Tout mon être me hurle que c'est une abomination. N'est-ce pas clément de ma part que de transformer ce hurlement en un banal petit soliloque que seule une poignée recevra?Peu importe. C'est la dernière fois. J'en ai assez de commenter ma réalité immédiate, directement ou par l'allégorie. Je n'ai pas (plus?) envie d'être un "fou divertissant".
Tout mon être m'ordonne d'écrire des histoires; ce n'est pas qu'une lubie. À partir d'aujourd'hui, je choisis volontairement de taire mes doutes, ainsi que la problématique complexe de la valeur objective de ma création, pour atteindre la seule réussite que je connaisse, la seule qui ne se démente pas: terminer une histoire, l'ajouter à mon arsenal, et puis la polir au fil des années.
Je cherchais à partager mon écriture; au lieu de ça j'ai compris que je suis condamné à ne pas pouvoir le faire. Pourquoi? Qu'est-ce que je ne fais pas correctement? Est-ce que je travestie le rôle premier (ou le dernier usage) de l'écriture? Est-ce que mes attentes sont irréalistes? Est-ce que le fait de privilégier l'idée (et la clarté d'expression) plutôt que le style, me confine à un ghetto artisanal? Est-ce que mes préoccupations sont dépassées ou difformes? Suis-je trop étrange ou tout simplement ennuyeux? Suis-je "trop proche" de ce que j'écris? Est-ce qu'une lacune primordiale mine mon Intellect? Ou est-ce tout simplement que l'Écriture est un art mort qui n'intéresse plus que ceux qui écrivent?
Je ne sais pas. Je ne le saurai jamais puisque personne ne veut (ou ne peut) se prononcer là-dessus, et que moi je n'y vois pas très clair non plus. Je suis un solitaire. Je vivrai donc avec une écriture solitaire. C'est une réalisation qui n'est pas négligeable, que je ne ressens plus comme une résignation, et pour ça je ne peux pas décrier toute l'entreprise. Je n'attaque pas non plus vos entreprises, Amis et Amies. Je dois tout simplement éliminer les distractions pour focaliser mes énergies sur ce qui compte le plus pour moi: ma famille et mon écriture. Tout ce qui ne vient pas directement y contribuer est de trop.
Et puis --- c'est peut-être la seule bonne chose à ressortir de mon épuisement --- je comprends enfin que c'est faux de dire que le travail est fatiguant, et la détente reposante. Personnellement, à ce stade-ci de ma vie, tout me fatigue. Alors tant qu'à être fatigué, autant faire en sorte que je sois content de moi à posteriori.
Pour résumer tout ça, et vous donner une bonne idée de l'énergie dont j'arrive parfois à m'investir moi-même (écho constructif de ces "sentiments créés de toutes pièces"), je vous laisse sur une redite d'une citation d'Alan Moore, que j'avais précédemment mise dans la bouche d'un "Grand Mage" dans une de mes allégories:
"The way that school seemed to me was that there was an overt curriculum --- reading, writing and arithmetic --- and a covert curriculum, which was more or less punctuality, obedience and the acceptance of monotony… In a lot of cases it seemed that school was like aversion therapy. It wasn’t there to teach you knowledge, it was there to put you off learning. You’d associate learning or reading with work and you’d associate work with drudgery. This is why most people are happy to just sit down in front of the television at night. “I’m not actually doing any work, therefore I must be having a perfect time.”"
* * *
Mes amitiés,
Simon G.
La Fée Blackstick a dit...
On peut choisir de vivre, ou de mourir; ou d'être entre les deux, dans les limbes d'une écriture qui n'ira probablement nulle part ailleurs que dans nos archives personnelles. Mais il y a les restes; tous ces restes abandonnés le long des boueux chemins scriptuaires; ces millions de lettres éparpillées au vent, qui n'attendent que leur accouplement, pour assouvir enfin le Roman Ultime, celui-là seul qui survivra à son Auteur, celui-là même qui se fera concevoir des lumières de son Obscurité. Merci cher Simon, pour toutes ces histoires que nous avons tout d'abord lues dans la blancheur de ces lumières, puis dans l'Obscurité bleutée du Noir Corbeau.
22 novembre, 2005 22:06
Simon a dit…
Merci, Fée Noire, vos mots sont sucrés comme de la réglisse.J'ai presque envie d'écrire un deuxième dernier message, juste pour avoir un autre aussi beau commentaire...À la revoyure.
23 novembre, 2005 21:33
La Fée Blackstick a dit...
Pas besoin; avec ce que je viens de lire; mais si vous y tenez, très cher cher Xavier...;-)
23 novembre, 2005 23:25
Patrick Brisebois a dit…
Au fond, c'est toi qu'on devrait surnommer "Kafka' des blogues... ;-)Bonne écriture.(moi aussi je mets de côté le style au profit de la clarté, de l'histoire... on verra bien ce que ça donnera..)à+***Bonjour dame Blaquestique!
24 novembre, 2005 13:31
Simon a dit…
Merci Patrick. À la prochaine.
24 novembre, 2005 20:18
sebastien chabot a dit...
Superbe note qui porte des doutes honnêtes et une volonté ferme de faire quelque chose de «durable» pour soi. Je signe à tout ce que tu dis; tes doutes sont si sincères qu'ils portent, en quelque sorte, le quotidien de biens des gens qui veulent écrire, et qui arrivent, un jour ou l'autre. Ce continent scriptuaire, pour reprendre un peu la fée (que je salue, il va s'en dire), n'est peut-être pas aussi loin que tu le penses. À bientôt, donc. Salut Pat, omniprésent, tel un Dieu sur cette blogosphère! ;)
01 décembre, 2005 02:56
Simon a dit…
Merci de ton passage et ton intérêt, Sébastien. Je garderai tes mots en tête.
01 décembre, 2005 11:51
Marie-Chantal a dit…
Quel texte, Simon, tu as vraiment du génie; tu dis vraiment la condition de l'esclave contemporain. Je te lis avec bonheur.
03 décembre, 2005 06:47
Simon a dit…
Merci, Marie-Chantal. À la prochaine.
07 décembre, 2005 05:43
robin a dit...
Un petit bonjour, Simon.Et une distante compassion.Je te souhaite la paix.
20 décembre, 2005 16:54
Simon a dit…
Quoi souhaiter de plus significatif? Le bon monde existe, et tu me le prouves un peu aujourd'hui.La compassion, aussi distante soit-elle, est un miracle que tous les dieux inventés du monde, dans tous les torchons sacrés du monde, ne pourront jamais expliquer.Et c'est dans un monde sans explication --- religieuse autant que scientifique --- que mon Amour des autres peut germer et se développer.Encore une fois, je me perds dans mon propre labyrinthe.-------------------------------------Traduction: Merci Robin.
20 décembre, 2005 20:29
Vidoc a dit...
Mes amitiées aussi cher SimonPasses un joyeux temps des fêtes, mais attention, reviens en bonne et dûe forme.
23 décembre, 2005 17:09
La Fée Blackstick a dit...
Pendant le congé tant espéré du Conteur, peut-être lui serait-il possible de mettre quelques extraits de ses si belles histoires, ici, sur ce blogue qui s'ennuie de ses mots. Joyeuses Fêtes...
24 décembre, 2005 07:41